Notre Père
Notre Père
Autour de la prière du Notre Père
(Matthieu 6, 9 à 15)
Dans notre répertoire, ce sketch a une place à part. Pour l’interpréter, il est essentiel de se départir de tout jeu préfabriqué et d’accepter de le vivre comme une expérience, un dialogue vivant. Plus précisément où l’actrice consent à pardonner, elle doit auparavant vivre sur la scène ses propres combats intérieurs sans lesquels le jeu serait un massacre.
Si soudain au détour de cette prière commune, « Notre Père qui est aux cieux » n’y restait pas ? Pourquoi donc être surpris par cette audacieuse proposition ? Quand nous prions, Dieu n’est pas si loin...
Pensée bonus
« Je n’ai pas peur de Dieu parce qu’il est notre Père.
Mon père ne me fait pas peur. »
Charles Péguy
- Rosa, croyante pratiquante
- La voix de Dieu, toute en mystère et en amour.
Rosa entre en prière.
ROSA : Notre Père qui est aux cieux !
LA VOIX : (l’interrompant) Oui.
ROSA : (surprise et inquiète) Qu’est-ce que c’est ?
LA VOIX : Tu m’as appelé ?
ROSA : Ah non... je ne t’ai pas appelé, je prie... Notre Père...
LA VOIX : Là... tu l’as encore fait ?
ROSA : Qu’est-ce que j’ai fait ?
LA VOIX : Tu m’as appelé, tu as dit « Notre Père ». Me voici. A quoi pensais-tu ?
ROSA : A rien, je prie c’est tout. Ca me fait du bien, alors...
LA VOIX : Continue ta prière !
ROSA : Que ton nom soit sanctifié.
LA VOIX : Que voulais-tu dire par là ?
ROSA : (agacée) Par quoi ?
LA VOIX : Mon nom est différent des autres noms. Mon nom est « Je suis ». Cela ne te dit rien ?
ROSA : Si, mais je n’y avait jamais pensé avant... (silence) Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
LA VOIX : Que fais-tu pour que mon règne vienne ?
ROSA : Ce que je fais, moi !... Rien du tout ! (révoltée) Mais il me semble que ce ne serait pas si mal si tu venais diriger toutes choses ici-bas, comme tu les diriges là-haut !
LA VOIX : Est-ce que je dirige ta vie ?
ROSA : Eh bien... (silence gêné). Je vais à l’Eglise...Enfin à Noël, et puis à Pâques, aussi... Enfin, j’y vais quoi !
LA VOIX : Es-tu sûre de marcher dans les traces de mon Fils ?
ROSA : Alors, écoute Seigneur, je suis aussi bonne que toutes ces personnes qui vont à l’Eglise tous les dimanches matin.
LA VOIX : Comment veux-tu que ma volonté s’accomplisse si ceux qui prient ne commencent par l’accomplir ?
Un temps.
ROSA : Je sais que j’ai des problèmes.
LA VOIX : Moi aussi, je sais.
ROSA : Tu sais ? Alors tu sais que j’aimerais me débarrasser de toutes ces histoires qui m’empêchent d’être vraiment libre.
LA VOIX : Bien ! Nous avançons ! Nous allons travailler ensemble.
ROSA : Ah non ! Ce soir, ça va beaucoup trop loin... et puis, ça prend beaucoup trop de temps. (récitant à nouveau) Donne-nous notre pain quotidien.
LA VOIX : Me fais-tu confiance pour le pain ?
ROSA : (excédée) Oui.
LA VOIX : Prier est un acte dangereux. Tu pourrais finir par être changée tu sais...(silence) Mais tu n’as pas fini avec ta prière, continue !
ROSA : Je ne peux pas, j’ai peur.
LA VOIX : Tu as peur ?
ROSA : Oui, je sais ce que tu vas me dire.
LA VOIX : Essaie donc, tu verras.
ROSA : (articulant avec rapidité) Pardonne-nous nos offenses comme nous aussi, nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés...
LA VOIX : (l’interrompant) Et Pierre ?
ROSA : (explosant) Et voilà, je savais que tu allais me parler de Pierre... Mais Seigneur, il m’a fait beaucoup trop de mal, tu comprends... et moi...j’ai juré, j’ai juré de me venger.
LA VOIX : Et ta prière ?
ROSA : C’est une question d’habitude, c’est tout.
LA VOIX : Eh bien ! Tu es franche... Mais ce n’est pas facile de porter la haine en toi, n’est-ce pas ?
ROSA : Non, ce n’est pas facile... et une fois que je me serai vengée, ça ira beaucoup mieux.
LA VOIX : Ca n’ira pas mieux, au contraire ! Tu es tellement triste au fond de toi. Mais moi, je peux changer tout ça...
ROSA : Toi, tu peux, et comment ?
LA VOIX : Pardonne à Pierre, comme un jour, je t’ai pardonné.
ROSA : Mais Seigneur, je ne peux pas pardonner à Pierre ! Tu comprends, je ne peux pas !
LA VOIX : Que disais-tu dans ta prière ?
Très long silence habité
ROSA : (dans l’émotion du « lâcher prise ») Je pardonne à Pierre. Tu pourrais peut-être aller lui parler à lui aussi, non ? Je ne sais pas s’il te prie chaque soir.
LA VOIX : (l’interrompant) Ce n’est pas ce qui m’arrête. Finis ta prière.
ROSA : Ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal.
LA VOIX : C’est ce que je ferai. Mais toi, ne fait tout pour être tentée. Apprends à vivre dans mon amour.
ROSA : Car c’est à toi qu’appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire.
LA VOIX : Que la grâce et la paix t’accompagnent.
ROSA : Amen !
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